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"La famille du toxicomane": synthèse du livre ( S. CIrillo, R. Berrini, G. Cambiaso, R. Mazzo)- Partie 2

C. Un modèle éthiologique de la psychogenèse de la toxicomanie à l'héroïne.

 

1.Présentation.

 

1.1. Trois sous- groupes sont envisagés :

 

  • Le premier représente la majorité des familles étudiées.

    Dans celuis-ci, le futur toxicomane a reçu des soins apparemment irréprochables sur le plan formel mais inadéquats sur le plan substantiel.

    Sur trois générations, il existe des vécus traumatiques mais peu élaborés surtout du côté du père.

    Il s'agit du groupe le plus important au point de vue numérique.

     

  • Dans le second, les parents perpétuent les insatisfactions vécues dans leurs familles d'origine.

    Il existe une instrumentalisation de l'enfant à l'intérieur de leur dysfonctionnement de couple et le malaise relationnel est occulté.

     

  • Dans le dernier prévaut la transmission générationnelle de l'abandon de l'objet comme culture affective dominante dans la structuration des liens.

    Ces familles sont définies comme «  famille multiproblématique ».

 

1.2. Etude de ces trois parcours en sept stades :

 

  • Les familles d'origine.

  • Le couple des parents.

  • Relation mère- fils durant l'adolescence.

  • Le passage au père.

  • La rencontre avec le produit.

  • Dernier stade ajouté par le professeur Cirilo : il envisage les mécanismes chronicisant la toxicomanie.

  •  

2. Premier parcours : l'abandon dissimulé

 

2.1 : Premier stade : les familles d'origine.

 

Les deux parents ont connu une relation carentielle dans leur famille d'origine sans pouvoir reconnaître le dommage subi.

Le père a été parentifié trop tôt ; quant à la mère du toxicomane, elle a vécu une relation conflictuelle avec sa propre mère.

 

2.2 : Second stade : le couple parent.

 

Le couple se constitue sur un modèle de « mariage d'intérêt », où chacun est intéressé par

« la dot affective » que le partenaire apporte avec lui, comme une aide pour se réaliser socialement afin d'obtenir une émancipation au regard de la famille d'origine.

Cependant, les préoccupations de chacun restent centrées sur la famille d'origine.

Aucun des deux partenaires ne parvient aux yeux de l'autre à être plus important que cette dernière.

 

2.3 : Troisième stade : la relation mère- enfant dans la petite enfance.

 

La relation est carentielle au niveau affectif : les soins sont « mimés ».

Ils ne sont ni dirigés par la mère ( au niveau affectif) ni vers l'enfant, ni vers son conjoint mais vers sa propre mère.

Ces soins sont en apparence donnés d'une manière irréprochable mais en fonction de son désir de maintenir l'adaptation sociale donnée par le mariage et par la recherche de la reconnaissance de ses propres parents.

Ces données privent l'enfant de la conscience du dommage subi d'autant plus que l'entourage minimise l'importance des manques ( abandon dissimulé).

Ces carences peuvent survenir uniquement pour un seul des enfants dans le cas du père comme de la mère :

  • Condition de vie momentanée de la mère.

  • Cette relation frustrante n'est pas compensée par le père qui occupe aussi une position inadéquate pouvant être momentanée. ( ex : absence répétée pour le travail)

 

2.4 : Quatrième stade : l'adolescence.

 

La mère ne reconnait pas les exigences du jeune lequel a été conditionné à la résolution des noeuds de sa relation avec sa propre mère. Pour lui, la confrontation avec les pairs met en évidences l'inadéquation de la relation mère- enfant.

Cependant, la prise de conscience n'est pas encore suffisante pour provoquer l'apparition du symptôme même s'il existe des comportements d'opposition, d'échec scolaire et des expériences de drogues douces, de prise d'alcool et d'identification avec des groupes violents.

 

2.5 : Cinquième stade : le passage au père.

 

Le fils sent que sa mère se maintient dans une position infantilisante.

Il réagit de plus en plus et tente de se tourner vers son père lequel n'assume pas sa responsabilité.

En effet, ce mouvement ne réussit pas car, en général, le père le disqualifie ; il sent son fils comme celui du couple mère /belle-mère.

Si en apparence, il l'accueille, c'est soit pour mieux l'abandonner ensuite, soit pour essuyer un échec car il ne se démarque pas assez du style maternel.

 

2.6 : Sixième stade : la rencontre avec les stupéfiants.

 

Ici, l'adolescent est prêt à rencontrer l'héroïne, prédisposé par un mélange de sentiments diversement dosés : la solitude et l'impression d'avoir toujours été seul, le malaise de cette découverte encore vécue avec de la culpabilité dirigée contre des personnages idéalisés.

La confusion persiste encore.

Les effets psycho- pharmacologiques de l'héroïne aident à contenir le risque de dépression.

Ces effets, en s'ajoutant à l'accoutumance, crée la dépendance.

 

2.7 : les stratégies basées sur le symptôme.

 

Les comportements qui suivent la découverte de la toxicomanie la chronicisent.

La mère développe des soins infantilisant et le père reste très distant.

De cette façon, l'adolescent profite des avantages qui lui sont donnés en extériorisant son besoin d'autonomie et son agressivité par l'usage de drogues.

 

3.Deuxième parcours : l'abandon méconnu.

 

3.1 : Premier stade : les familles d'origine.

 

Ce groupe constitue le plus petit échantillonage.

Néanmoins, il existe des transmissions intergénérationnelles de carences et d'évènements traumatiques.

Il est difficile d'en obtenir une narration par la famille à cause de la présence de mécanismes mentaux collectifs caractérisés par la méconnaissance et l'occultation de la réalité.

 

3.2 : Second stade : le couple des parents.

 

Le mariage résulte de la rencontre des besoins psychologiques profonds des deux partenaires.

Ceux- ci ressentent confusément qu'ls ne les ont jamais satisfaits ce qui forme une compensation spécifique engendrant une forte dépendance réciproque ( mariage forcé- Vinci- 1991).

Par contre, certains aspects du mariage sont frustrants et l'idée de séparation est vécue comme insupportable ( Pat du couple).

 

3.3 : Troisième stade : relation mère- enfant durant la petite enfance.

 

La mère construit une relation à son enfant profondément occupée par les sentiments contradictoires et ambivalents qu'elle nourrit envers son mari.

Une symbiose mère- enfant incomplète se construit car elle est trop précocement envahie par la présence paternelle.

Le maternage est subordonné à la complexité du jeu conjugal.

En effet, la mère a peur que son mari ne l'abandonne et présente des poussées agressives en raison de ses attentes non comblées.

Les besoins de l'enfant ne sont de cette sorte en aucune façon reconnus, sa condition d'abandon est niée ( abandon méconnu).

On peut observer un «  surinvestissement instrumental » de l'enfant dans une fonction anti- paternelle ( Selvini – 1988).

Un degré supérieur de surinvestissement tend vers une composante de troubles psychotiques.

Néanmoins, lorsque la composante d'abandon est plus forte, le risque de toxicomanie est nettement plus important.

 

3.4 : Quatrième stade : l'adolescence.

 

Pendant l'adolescence, les échecs et la transgression sont interprétables en termes de désillusion progressive au regard de la mère qui était jusque là fortement idéalisée.

Lorsque l'ado investit vers l'extérieur, il découvre l'indifférence de la mère qui continue à focaliser son attention sur la relation conjugale.

Dans le cas d'un surinvestissement instrumental, il perçoit donc l'hostilité de sa mère qui n'accepte pas sa prise d'autonomie dans la mesure où elle l'éloigne de la trame du « Pat » du couple.

 

3.5 : Cinquième stade : le passage au père.

 

Il évolue vers un échec car :

 

  • Le comportement du père est orienté vers la préservation des équilibres complexes lui permettant de protéger la relation avec sa femme.

     

  • Il peut percevoir son fils comme un rival car sa femme en a instrumentalisé la croissance en compensation, en réaction aux carences de son partenaire.

     

  • Le père donne ainsi la priorité à la dynamique du couple plutôt qu'à son rôle de parent.

 

3.6 : Sixième stade : la rencontre avec les drogues dures.

 

La drogue contient l'angoisse.

Elle est nécessaire d'un point de vue auto- thérapeutique non comme anti- dépresseur mais pour tenter de donner une forme au «  Moi » perçu comme courant un risque de fragmentation et de dispersion.

La toxicomanie couvre donc de graves problèmes d'identité ( effet personnel des stupéfiants).

 

3.7 : Septième stade : les stratégies basées sur le symptôme.

 

Face au symptôme, il existe deux stratégies possibles de la famille :

 

  • La toxicomanie offre à la mère l'opportunité d'instrumentaliser le lien avec son fils dans la dynamique de « Pat » de couple afin de réintroduire son mari dans un lien conjugal qui semble précaire, troublant et inquiétant la mère.

    Le père utilise le symptôme lui permettant de dévier sa frustration et sa rage du couple vers la relation qu'il entretient avec son fils toxicomane pour défendre et protéger sa femme.

     

  • La mère peut piéger son fils dans un jeu de compensation et d'attaque contre le père pour que ce dernier réagisse en augmentant la distance et la rage.

    Le fils perçoit son instrumentalisation par la mère et se soutient comme il le peut en augmentant le symptôme engendrant à nouveau sa dévalorisation par le père.

 

4.Troisième parcours : L'abandon agi.

 

Dans ce parcours, la toxicomanie est accompagnée de comportements anti- sociaux rarement observés en psychothérapie mais plutôt auprès des services ou des communautés thérapeutiques.

La famille n'est pas en état d'accompagner les toxicomanes dans un processus de cure ou de thérapie.

 

4.1 : Premier stade : la famille d'origine.

 

La structure familiale est déjà désagrégée au niveau des parents qui ont vécu une relation d'abandon objectif, ce dernier se reproduisant ensuite entre époux ou entre les parents et l'enfant.

Ils ne développent pas d'attente ne pouvant être que décue.

Ils exercent envers les autres un comportement prédateur et grapillent dans une existence pitoyable quelques miettes de gratifications immédiates et concrètes.

 

4.2 : Second stade : le couple conjugal.

 

Le mariage est inexistant ( Vinci, 1981).

Les échanges émotionnels dans le couple avoisinent zéro.

L'histoire individuelle des conjoints est marquée d'abandon et de déception.

Il y a notamment de nombreuses mères célibataires.

Les conflits de couple sont manifestes.

Ce sont des familles multi-problématiques ( Cirrilo, Cripollini- 1994)

Les problèmes économiques et la dégradation sociale sont bien réels.

 

4.3 : Troisième stade : la relation mère- enfant dans la petite enfance.

 

La mère est seule au niveau existentiel et répète les carences qu'elle a subies.

L'enfant se développe donc en état d'abandon existentiel et est souvent confié aux proches ( abandon agi) face au manque de soins objectifs.

La famille attribue cet abandon à l'extérieur ( détresse économique et sociale).

 

4.4 : Quatrième stade : l'adolescence.

 

L'entrée dans l'adolescence est précoce.

L'ado tente de s'intégrer dans une bande, souvent transgressive et violente assumant des fonctions familiales substitutives.

Souvent, il existe une inversion des rôles face à un parent faible, en général la mère.

A ce stade, des troubles du comportement se manifestent auxquels le père répond par de la violence.

 

4.5 : Cinquième stade : le passage au père.

 

Le père est généralement absent , inadéquat ou inconnu.

Il se trouve incapable de contrôler les poussées évolutives du fils et d'en contenir les éléments régressifs.

La pathologie sociale cache celle des affects.

Le père présente souvent des déviances ou de l'alcoolisme.

Il est indifférent aux besoins émotionnels de son enfant.

 

 

4.6 : Sixième stade : la rencontre avec les drogues dures.

 

La marginalité sociale facilite le contact avec la drogue.

En effet, elle représente un gain facile et une adhésion à la culture du groupe.

Son pouvoir sédatif contient la rage provoquée par l'abandon affectif et limite la violence à l'intérieur de la famille.

 

4.7 : Septième stade : les stratégies basées sur le symptôme.

 

La mère délègue la responsabilité à la société, se désengage et mythifie la communauté thérapeutique comme seul remède possible.

Le fils augmente la provocation, maltraite sa santé, risque l'overdose et la séropositivité, trafique.

Il refuse également les programmes thérapeutiques.

La détresse économique sert aux parents à justifier leurs carences de soins envers leur enfant, l'abandon ou le placement.

 

D. Synthèse des trois parcours.

 

Dans le premier, les carences dans les familles d'origine sont reconnues mais minimisées.

La rencontre des parents a donné lieu à un mariage d'intérêts où les échanges émotionnels sont formels.

Les échanges mère-enfant durant la petite enfance se réduisent aux soins mimés, apparemment irréprochables.

Cependant dans un souci d'adaptation sociale, la mère est en relation tendue avec sa propre mère et n'est donc pas assez sereine pour être suffisamment proche de l'enfant.

Quant au père, il reste distant d'une point de vue émotionnel.

L'abandon est dissimulé et les manques affectifs sont minimisés, peu élaborés.

Il rejette donc son fils qu'il perçoit comme celui du couple mère/grand- mère.

En effet, s'il accepte, il échoue car il ne se démarque pas assez du style maternel.

De cette façon, l'usage de la drogue permet à l'adolescent d'éviter la dépression.

L'infantilisation dont il est victime est ainsi un mécanisme qui chronicise la toxicomanie « traumatique » ou de registre «  névrotique ».

Cette dernière entraîne une structure de personnalité névrotique et borderline où les symptômes dépressifs prévalent.

Par conséquence, le traitement psychothérapeutique consiste en une forte implication de la première génération.

 

Dans le second, les carences dans les familles d'origine des parents ne sont pas reconnues.

Le mariage est « obligé » et le «  pat » préside les échanges émotionnels dans le couple.

L'enfant est donc instrumentalisé dans un but anti- paternel.

L'abandon est méconnu et il y a un surinvestissement instrumental.

A l'adolescence, l'enfant proteste contre l'indifférence et l'hostilité de sa mère face à sa recherche d'autonomie mais le père intervient pour défendre sa femme, son couple et le rejette donc car il le considère comme un rival.

Par conséquent, cette collusion mari- femme et mère- fils chronicise la toxicomanie qui présente une fonction d'auto- thérapie afin de contenir la dépression.

Il s'agit d'une toxicomanie de transition avec des structures de personnalité borderline et psychotique où les symptômes psychotiques prévalent.

 

Dans le dernier, seules les carences d'origine sociales et économiques dans les familles d'origine sont reconnues.

Le mariage est inexistant avec des conflits évidents.

Il n'y a aucun échange émotionnel dans le couple qui bien souvent n'existe pas ( mère célibataire, couple séparé...)

Durant l'enfance, la mère reproduit ce qu'elle- même a vécu en ne prodiguant aucun soin à son enfant.

L'abandon est donc objectif.

A la pré- adolescence, le jeune proteste, le père est absent ou manifestement inadéquat.

La drogue apparaît comme un moyen de réduire la rage et entraîne le rejet de la famille.

Ce type de famille se nomme «  famille multiproblématique ».

Il s'agit d'une toxicomanie « sociopathique » dans laquelle la structure de la personnalité est variable.

Les comportements psychotiques et antisociaux prévalent.

 

E. Conclusion.

 

Seon Stéphane Cirrilo, il peut exister une équation déterministe par laquelle la présence de facteurs traumatiques dans l'histoire des parents induirait une toxicomanie chez l'enfant.

Ce serait, dès lors, une explication plausible pour expliquer une symptomatologie touchant une tranche d'âge d'adolescents jeunes avec la portée d'une maladie chronico-récidivante.

 

Pour le comprendre, il faut tenir compte de trois facteurs à partir de la génération des parents :

 

  1. L'enchevêtrement des expériences traumatiques individuelles des parents au moment de la formation de la famille nucléaire.

     

  2. La non- élaboration du traumatisme par des processus d'exclusion défensive avec, par conséquent, une dissociation entre la mémoire évènementielle et la mémoire sémantique pour les deux parents.

 

  1. La présence d'une configuration familiale au moment de la formation du couple telle que les membres de la première génération de la famille d'un ou des deux partenaires représentent une motivation importante. ( une «  dot affective » pour décider de la construction d'un nouveau noyau familial).

 

Cela donne lieu à un engagement inachevé dans leur rôle de parents : il existe «  un manque de témoins » en faveur de la croissance du fils alors qu'il suffirait ( d'après Khohut en 1954) qu'au moins un seul des parents ait une réponse suffisamment empathique pour éviter le blocage de la constitution du noyau du moi et permettre l'obtention de l'expérience de la relation à l'objet.

 

L'incapacité d'un des deux parents à intervenir sur les dysfonctionnements de la relation de l'enfant avec l'autre parent revêt une importance cruciale dans la phase d'adolescence lorsqu'apparaît le symptôme ( cinquième stade du premier parcours).

 

La minimisation partagée par les deux parents nie l'importance des carences subies par l'adolescent.

Parfois,des stress externes à la famille amplifient les problèmes internes.

Quelque fois aussi, un des enfants est plus particulièrement touché par la transmission intergénérationnelle de telle manière qu'il développe un symptôme tandis que les autres ne le font pas.

 

 

Synthèse du livre rédigée par Joh Hope, 06.12.2016

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